C'était bête. En lisant les nouvelles de la semaine, je me suis rendue compte que ce n'était qu'une illusion. Notre actuel gouvernement songe à réduire l'universalité des services de garde et à sabrer dans le programme de congé parental, sous prétexte qu'il est trop généreux comparé à celui des autres provinces canadiennes. Je suis bien d'accord pour qu'on s'offre des services à la hauteur de nos moyens, mais si ces programmes sont diminués arbitrairement, je vois déjà bien des femmes et des hommes se questionner sur leur envie de fonder une famille ou encore, qu'on en revienne à s'appauvrir pour avoir des enfants en se privant d'un salaire.
Laissez-moi vous dire pourquoi ces services ont été importants pour moi.
Maintien de la sécurité financière
Je suis issue de la classe moyenne ordinaire. J'ai obtenu une maîtrise en histoire puis j'ai eu des emplois à contrats, et par définition - instables - jusqu'au milieu de la trentaine. Alors que j'accédais à un peu plus de stabilité dans un poste de cadre de premier niveau à trente-cinq ans, je tombais enceinte de mon premier fils. Le papa était alors travailleur autonome et ne roulait pas sur l'or et je remboursais encore mon prêt étudiant. Il n'y avait pas encore de congé parental. On recevait alors une prestation de chômage de 351$ par semaine, moins deux semaines de carence. Avoir un premier enfant nous plongeait dans une situation précaire.
Tableau du Régime québécois d'assurance parentale |
J'ai pris 9 mois de congé malgré tout puis il fallait trouver une garderie. Rien de disponible dans les CPE, j'ai été obligée de me rabattre sur une garderie privée à 700$ par mois (c'était en 2004). Notre loyer mensuel d'alors était de 730$, dans le quartier Villeray à Montréal.
C'était avant les remboursements progressifs pour les frais des services de garde privés. Le coût de la garderie nous étouffait car il fallait attendre le retour d'impôt de la fin d'année pour obtenir notre compensation. Puis, je me suis rendue compte que j'étais retournée trop tôt au travail, ma dépression post-partum mal soignée a dégénéré. Quatre mois après mon retour au travail, j'ai plongé dans une dépression majeure. J'ai été en arrêt de travail pendant 4 mois.
Le salaire annuel moyen au Québec est de 42 000$, soit environ 800$ par semaine. Dans le commerce du détail, les salaires sont encore plus faibles. |
Arrivés en banlieue, nous avons trouvé une autre garderie privée, un peu moins chère, à 560$ par mois, mais la nouvelle hypothèque était un peu plus importante que notre précédent loyer. En combinant nos REER accumulés, nous avons réussi à accéder à la propriété en quittant Montréal, mais c'était une maison qu'il fallait rebâtir au complet.
Il nous a fallu quatre ans pour se remettre de cet épisode et commencer à penser à un autre enfant. Quand j'ai eu mon deuxième fils, j'avais quarante ans et j'ai eu droit au véritable congé parental. Cette fois, j'ai pris un an, ce qui a été bénéfique pour toute la famille. Le plus vieux commençait l'école alors que le cadet avait à peine quelques mois. En étant à la maison, j'ai ménagé mon énergie pour ne pas faire une deuxième dépression. J'ai réussi. Puis, j'ai eu la chance inouïe d'avoir une place en CPE pour mon plus jeune.
Le congé parental et les services de garde abordables nous ont permis d'ajuster nos vies sans fragiliser une sécurité financière à peine consolidée au deuxième enfant. Les services de garde à 7$ nous ont permis de continuer de vivre décemment avec deux enfants et une hypothèque. À deux enfants, le service de garde à 7$, c'est quand même 300$ par mois. Pour une famille de la classe moyenne au Québec, c'est une grosse dépense. N'oublions pas que salaire moyen d'un Québécois travaillant à plein temps est d'environ 42 000 $ par an, soit environ 800$ par semaine. Et dans le commerce de détail, les salaires sont encore plus faibles.
Pour la première fois dans l'histoire, les femmes n'étaient plus seules à avoir des enfants
Or, les services de garde à 7$ mis sur pieds en 1997 ainsi que le congé parental instauré en 2006, ont fait plus que de nous donner les moyens financiers d'avoir des enfants. Ces services ont contribué à sensibiliser les employeurs au fait que d'avoir des enfants et de prendre congé n'était pas un caprice de bonne femme, mais bien une étape normale de la vie. Pour les femmes, ce message a eu un impact majeur. Pour moi, qui était jeune cadre contractuelle, c'était un statement sans précédent.
Je pouvais m'affirmer dans mon nouveau rôle de mère sans sacrifier ma carrière. Dans bien des milieux, les femmes ont cessé d'avoir peur d'annoncer leur grossesse et de perdre leur emploi. La culture a changé pour les hommes aussi, les pères ont aussi adopté le congé parental. Pour la première fois dans l'histoire, les femmes n'étaient plus seules à avoir des enfants. Les services de garde abordables ont fortement contribué à faciliter le maintien en emploi de nombreuses femmes nouvellement mères de famille. En 2008, le taux d'activité des mères québécoises de jeunes enfants (76,1%) surpassait celui des ontariennes (72,8%) et des canadiennes (72,6%) [Un portrait statistique de la famille, Institut de la Statistique du Québec, p.7].
Symboliquement, l'actuel gouvernement nous dit qu'il s'agit d'un luxe d'avoir des enfants. Si on regarde la courbe démographique du Québec, ce ne l'est pourtant pas. La population continue de vieillir et peine encore à se reproduire, malgré une légère augmentation du taux de natalité ces dernières années. Se prévaloir d'une année d'arrêt pour un enfant est normal, M. Couillard. Ce n'est pas un luxe que d'accorder aux familles le temps et les moyens de s'occuper de leurs enfants adéquatement. Non, je ne veux pas revenir à l'époque où les femmes n'avaient d'autres choix que de rester à la maison. Socialement, ce serait une bêtise énorme.
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